Saturday, 5 November 2016

Why I am an Atheist-French Translation



On débat pour savoir si mon manque de foi en un Dieu omniprésent et omniscient découle de mon orgueil et d’une outrecuidante vanité. Il ne m’est jamais venu à l’esprit que je pourrais être un jour impliqué dans une polémique de ce genre. à la suite de quelques discussions avec mes amis, (si mon évocation de l’amitié n’est pas ici déplacée) je me suis aperçu qu’après m’avoir connu, souvent depuis peu, certains d’entre eux se sont hâtés de conclure que mon athéisme provenait de ma sottise et qu’il constituait l’expression de ma vanité. Même dans ce cas, cela posait un grave problème. Je ne me vante pas d’être au-dessus de ces folies humaines. Je suis, après tout, un être humain et rien de plus. Et personne ne peut prétendre être plus que cela. Une de mes faiblesses réside dans mon exigence de fierté. Je suis connu pour passer pour un tyran parmi mes amis. Parfois, je suis aussi qualifié de fanfaron. Certains 33 se sont toujours plaints de mon autoritarisme et de ma propension à forcer les autres à se soumettre à mon opinion. Ce qui, dans une certaine mesure, est vrai. Je ne nie pas cette accusation. On peut parler d’orgueil à ce sujet. En ce qui concerne les valeurs, rétrogrades, méprisables, obsolètes de notre société, je suis un sceptique extrême. Et cette question ne concerne pas ma seule personne. C’est une chose d’être fier de ses idées, de ses pensées. Mais ce ne peut être appelé une fierté désincarnée. La fierté, ou vous pouvez utiliser le mot, la vanité, relèvent toutes deux d’une évaluation exagérée de la personnalité de


chacun. Mon athéisme résulte d’un orgueil inutile, ou ai-je cessé de croire en Dieu après une longue et profonde réflexion ? Je tiens à partager avec vous mon cheminement. Essayons d’abord de distinguer l’orgueil de la vanité, deux choses bien différentes.
Je n’ai jamais été en mesure de comprendre comment une fierté sans fondement, vide, pourrait empêcher une personne de croire en Dieu. Je ne peux refuser de reconnaître la grandeur d’une personne
34 véritablement admirable que si j’ai obtenu la gloire sans faire de sérieux efforts, ou que je manque des facultés mentales supérieures nécessaires pour m’élever. C’est aisé à comprendre, mais comment est-il alors possible qu’un croyant puisse se transformer en un non-croyant à cause de sa vanité ? Seules deux choses sont possibles : soit un homme estime être lui-même en possession de qualités divines, ou il va plus loin et se déclare être un dieu. Dans ces deux états, il ne peut être un athée dans l’entière acception du mot. Dans le premier cas, il ne conclut pas au rejet pur et simple de l’existence de Dieu ; dans l’autre, il affirme l’existence d’une sorte de pouvoir surnaturel responsable du fonctionnement de l’univers. Il ne nous contredit pas s’il prétend être luimême un dieu ou considère Dieu comme une réalité au- dessus de son être propre. Le point réel, cependant, est que dans les deux cas il reste un théiste, un croyant. Il n’est pas un athée. Je veux insister sur ce point. Je ne me reconnais en aucune de ces deux croyances. Je rejette totalement l’existence d’un Dieu omniprésent, tout-puissant et omniscient. Pourquoi donc ? Je vais en discuter plus tard dans l’essai. Ici, je tiens à souligner que je ne suis pas athée parce qu’arrogant ou orgueilleux, et que je ne suis pas non plus un demi-dieu, ni un prophète; non, je ne suis pas moi-même Dieu. Afin de répondre à cette question, je dois rétablir la vérité. Mes amis disent qu’après les attentats de Delhi et la conspiration de Lahore, ma renommée m’a fait tourner la tête. Cette allégation est incorrecte. Je n’ai pas arrêté de croire en Dieu après ces incidents. J’étais athée, même quand j’étais inconnu. Or un étudiant ne peut chérir de représentation exagérée de lui-même, qui le conduirait à l’athéisme. Si j’étais apprécié de certains des enseignants du collège, d’autres ne m’ont pas aimé. Je n’étais pas un garçon travailleur ou studieux. Je ne me suis jamais senti supérieur. Je suis très prudent dans mon comportement et quelque peu pessimiste quant 35 à ma future carrière. Je ne suis pas complètement athée depuis mes origines. Je fus élevé sous les soins et la protection de mon père. Il était un ardent arya samaji. Un arya samaji peut tout devenir, mais jamais un athée. Après mes études primaires, on m’a envoyé au collège de Lahore. Je vécus en pension pendant un an. Outre les prières tôt le matin et à l’heure du crépuscule, je m’asseyais pendant des heures pour chanter des mantras religieux. à ce moment, j’étais un farouche religieux. Ensuite, je vécus avec mon père. Il était tolérant dans ses opinions religieuses. Grâce à ses enseignements, je consacrais ma vie pour
la cause de la libération de mon pays. Mais il ne fut pas athée. Son Dieu était une entité qui imprègne tout. Il me conseillait de lui offrir mes prières tous les jours. Je fus élevé de cette façon. Pendant les Non Cooperation Days, je fus admis au Collège national. Durant mon séjour dans ce collège, je commençais à analyser toutes les polémiques religieuses et à devenir sceptique quant à l’existence de Dieu. Malgré cela, je peux dire que ma croyance en Dieu restait ferme et
36 forte. Je me laissais pousser la barbe et le kais (longue chevelure comme voulue par la coutume religieuse sikhe). Tout en ne pouvant totalement me convaincre de l’efficacité de la religion sikhe et d’aucune religion par ailleurs. Mais je gardais une foi inébranlable en Dieu.
Puis j’entrais au Parti révolutionnaire. Le premier chef que j’y rencontrais n’avait pas le courage de se déclarer ouvertement athée. Il se montrait incapable de parvenir à une conclusion ferme sur ce point. Chaque fois que je lui ai parlé de l’existence de Dieu, il m’a donné cette réponse : « V ous pouvez croire en Lui quand vous en avez envie. » Le deuxième chef que j’eus au parti était par contre très croyant. Je dois mentionner son nom. C’était notre respecté camarade Sachindara Nath Sanyal. Il fut condamné à la prison à vie dans le cadre de l’affaire de la conspiration de Karachi. Dès la première page de son seul livre, Bandi Jivan (Une vie incarnée), il chante des louanges à la gloire de Dieu. Regardez la dernière page de la deuxième partie de ce livre et vous trouverez des louanges déversées sur Dieu à la façon d’un mystique. C’est un reflet clair de ses pensées.
Selon l’accusation, le Dépliant révolutionnaire qui a été distribué dans toute l’Inde émanait du travail intellectuel de Sachindara Nath Sanyal. Très souvent, il arrive dans le cadre d’activités révolutionnaires qu’un lea der exprime ses propres idées autoritairement, et qu’en dépit de différences et de désaccords, les autres travailleurs doivent toujours y acquiescer.
Dans ce dépliant, un paragraphe entier a été consacré à la louange de Dieu, de ses faits et gestes, que nous, êtres humains, ne pouvons comprendre. Ceci est pur mysticisme. Ce que je veux souligner est que l’idée de nier l’existence de Dieu n’était pas venue au Parti révolutionnaire. Les célèbres martyrs kakori, tous les quatre, ont passé leur dernière journée en prières.
Ram Parshad Bismal était un fervent arya samaji. En 37 dépit de ses vastes connaissances du socialisme et du communisme, Rajan Lahiri ne put réprimer son désir de réciter des stances des Upanishads et de la Bahavad Gita. Il n’y avait qu’une seule personne parmi eux qui ne se livrait pas à de telles activités. Il disait : « La religion est le résultat de la faiblesse humaine ou de la contrition de la connaissance humaine. » Il est également en prison à vie. Mais il n’a jamais osé nier l’existence de Dieu.
Jusque-là je n’étais qu’un révolutionnaire romantique, un suiveur de nos dirigeants. Puis vint le temps d’assumer l’entière responsabilité du combat. Depuis quelque temps, une forte opposition a mis l’existence même du parti en danger. Beaucoup de dirigeants, ainsi que de nombreux camarades enthousiastes ont commencé à tourner le parti en ridicule. Ils se moquaient de nous. J’avais l’appréhension qu’un jour moi aussi je considérerai mon activité en son sein comme une besogne inutile et sans espoir. Ce fut un tournant dans ma carrière révolutionnaire. Un désir incessant d’étudier remplit alors mon cœur. « étu-
38 die de plus en plus », me dis-je alors pour pouvoir être en mesure de faire face aux arguments de mes adversaires. « étudie pour soutenir ton point de vue avec des arguments convaincants. » Et je commençai à étudier très sérieusement. J’opérais un changement radical par rapport à mes croyances et mes convictions antérieures. Le romantisme militant avait marqué nos prédécesseurs ; maintenant des réflexions sérieuses avaient évincé cette façon de voir. Plus de mysticisme ! Plus de croyances aveugles ! Nous avions opté pour le réalisme. à certains moments de nécessité terrible, nous pouvons recourir à des méthodes extrêmes, mais la violence produit des résultats opposés dans les mouvements de masse. J’ai beaucoup parlé de nos méthodes. La chose la plus importante était une conception claire de notre idéologie pour laquelle nous menions une longue lutte. Comme il n’y avait aucune activité électorale en cours, j’eus l’occasion d’étudier les différentes idées défendues par divers écrivains. J’ai étudié Bakounine, le théoricien anarchiste. J’ai lu quelques livres de Marx, le père
du communisme. J’ai lu aussi Lénine et Trotski et de nombreux autres écrivains qui avaient pris part avec succès à des révolutions dans leurs pays. Tous étaient des athées. Les idées contenues dans Bakounine Dieu et l’État ne me semblaient pas toutes concluantes, mais cela restait un livre décisif. Je lus ensuite un livre, Sens commun, de Nirlamba Swami. Son point de vue était une sorte d’athéisme mystique. auquel j’attachais de plus en plus d’intérêt. à la fin de 1926, j’étais convaincu du manque de fondations solides de la conception d’un Dieu tout-puissant, ou d’un Être suprême qui aurait créé, guidé et contrôlé l’univers. J’entamais des discussions avec mes amis. Je me déclarais maintenant ouvertement athée. Nous allons voir dans les pages qui suivent ce que cela signifie.
En mai 1927, je fus arrêté à Lahore. Cette arresta tion fut une grande surprise. Je ne me pensais pas recherché par la police. Je passais à travers un jardin et tout 39 d’un coup les policiers m’ont entouré. à mon prop re étonnement, je restais très calme à ce moment-là et maître de mes nerfs. On m’emmena en garde à vue. Le lendemain, je fus emmené au bloc de la police des chemins de fer où je passais un mois entier. Après des interrogatoires de plusieurs jours  avec les policiers, j’ai compris qu’ils se doutaient de mon appartenance au parti kakori. J’ai senti qu’ils avaient de nombreux renseignements sur mes autres activités dans le mouvement révolutionnaire. Ils décelèrent que j’étais à Lucknow au cours du premier procès du parti kakori, afin de pouvoir concevoir l’évasion de
mes camarades accusés. Ils affirmèrent également à tort, qu’après l’élaboration d’un plan d’attaque, nous nous étions procurés des bombes et que l’une de ces bombes avait été jetée pour essai dans une foule à l’occasion de Dussehra en 1926.
Ils proposèrent de me relâcher à condition que je donne des renseignements sur les activités du Parti révo lutionnaire. En collaborant, je serais libéré et même récompensé, tout en évitant d’être déferré
40 comme un repenti devant la cour. Je ne pus m’empêcher de rire à leurs propositions. Ce n’était qu’une vaste fumisterie. Les gens qui ont des idées comme les nôtres ne jettent pas des bombes sur les innocents de leur propre camp. Un jour, M. Newman, le surintendant en chef, vint me voir. Après une longue et sympathique conversation, il m’annonça ce qu’il considérait comme une bien triste nouvelle, à savoir que si je ne leur donnais pas tous les témoignages et renseignements exigés, ils seraient obligés de m’inculper pour complot en raison de mon implication dans l’affaire du parti kakori et pour les meurtres brutaux du rassemblement de Dussehra. Il insista et me répéta que ces preuves suffisaient pour me faire condamner puis pendre.
J’étais complètement innocent, mais je considérais la police suffisamment puissante pour n’en faire qu’à sa guise. Le même jour, des officiers de police me recommandèrent d’offrir mes prières à Dieu deux fois par jour. J’étais un athée. Je pensais au départ garder cet athéisme en moi et n’en faire part que durant les jours de paix et de bonheur, or, dans ces moments difficiles, je me devais de rester ferme dans mes convictions. Après un long débat intérieur, je conclus que je ne pouvais faire semblant de croire et d’offrir mes prières à Dieu. Et je ne l’ai pas fait. C’était une épreuve et il me fallait en sortir dignement. Voilà mes pensées. à aucun instant je n’ai cherché à sauver ma vie. J’étais un véritable athée alors, et je suis toujours athée maintenant. Ce ne fut pas tâche facile que d’affronter cette épreuve. Les croyances rendent les épreuves plus faciles à surmonter, voire les rendent agréables. L’homme peut trouver un appui solide en Dieu et une consolation en célébrant Son nom. Si vous ne croyez pas en Lui, alors il n’y a pas d’autre choix que de dépendre uniquement de soi. Et il n’est pas aisé de rester invariant au milieu des tempêtes et des vents forts. Dans les moments difficiles, la vanité, si elle reste, s’évapore, et l’homme ne peut trouver le 41 courage de défier des croyances tenues en commune estime par le peuple. S’il se révolte vraiment contre ces croyances, nous devons conclure que ce n’est pas pure vanité mais grâce à une sorte de force extraordinaire. C’est exactement la situation aujourd’hui. Tout d’abord, nous savons tous ce que sera le jugement. Il doit être prononcé dans une semaine ou deux. Je vais sacrifier ma vie pour une cause. Quelle plus belle consolation ! Un hindou croyant peut espérer renaître en roi ; un musulman ou un chrétien pourraient rêver des luxes dont ils espèrent profiter au paradis comme récompense pour leurs souffrances
et leurs sacrifices. Mais moi, que dois-je entretenir comme espoir ? Je sais ce que sera la fin, quand la corde sera serrée autour de mon cou et les chevrons passés sous mes pieds. Pour utiliser la terminologie religieuse plus spécifique, ce sera le moment de l’annihilation finale. Mon âme retournera au Rien. Si je remets réellement en question la notion de « récompense », je conclus qu’une courte vie de lutte, sans fin magnifique, suffit à « notre » récompense. C’est tout.
42 Sans aucun motif égoïste d’obtenir une récompense ici ou dans l’au-delà, j’ai consacré ma vie de façon désintéressée à la cause de la liberté. Je ne pouvais agir autrement. Le jour est venu d’inaugurer une nouvelle ère de liberté où un grand nombre d’hommes et de femmes, auront le courage de servir l’humanité et de la libérer des souffrances et de la détresse, comprenant qu’ils n’ont pas d’autre alternative que de consacrer leur vie à cette juste cause. Ils vont mener une guerre contre leurs oppresseurs, les tyrans et les exploiteurs, non pour devenir des rois, ni pour obtenir une récompense ici ou une hypothétique prochaine renaissance, après la mort au paradis ; et pour enfin abattre le joug de l’esclavage, établir la paix et la liberté ils emprunteront cette voie périlleuse, mais sublime. La fierté qu’ils retireront de la noblesse de leur cause peut-elle être appelée vanité ? Qui est assez téméraire pour l’appeler de la sorte ? Seuls les êtres stupides ou méchants. Laissez de pareils hommes seuls car ils ne peuvent comprendre la profondeur, les émotions, les puissants sentiments qui secouent nos cœurs. Leurs cœurs sont rances, simples morceaux de chair, dépourvus de sentiments. Leurs convictions sont indécises, leurs émotions faibles. Leurs intérêts égoïstes les ont rendus incapables de percevoir la vérité. L’épithète « vanité » est toujours employé contre de solides convictions.
Vous allez à l’encontre des sentiments populaires ; vous critiquez un héros, un grand homme qui est généralement considéré comme au-dessus de toute critique. Que se produit-il alors ? Personne ne répon dra à vos arguments de manière rationnelle ; au cont raire vous serez considéré comme vaniteux. Ce qui révèle la fadeur et la tiédeur ambiantes. La critique impitoyable et la pensée indépendante repré sentent les deux traits nécessaires de la pensée révolutionnaire. Comme Mahatmaji est grand, il plane au-dessus des critiques ; tout ce qu’il dit dans le domaine de la politique, la religion, l’éthique s’avère 43 toujours juste. Vous pouvez être d’accord ou pas, il vous est obligatoire de le considérer comme une vérité. Cela ne participe pas d’une pensée constructive. De la sorte, nous ne faisons pas un bond en avant, mais de nombreux pas en arrière.
Nos ancêtres ont fait évoluer la foi en une sorte d’Être suprême, et par conséquent, celui qui ose contester la validité de cette foi ou nie l’existence de Dieu, sera appelé kafir (infidèle), ou renégat. Même si ces arguments s’avèrent impossibles à réfuter, si son esprit reste si tenace qu’il ne peut être effrayé par la colère du Tout-Puissant, alors il sera toujours dépeint comme vaniteux. Ainsi pourquoi devrionsnous perdre notre temps à ces discussions ? Cette question étant débattue devant le peuple pour la première fois l’on comprend l’importance et l’utilité de si longs débats.
Pour répondre à la première question, je pense l’avoir exprimé clairement, je ne suis pas devenu athée par vanité. Seuls mes lecteurs peuvent décider si mes arguments ont du poids, pas moi. Si j’étais
44 encore un croyant, je sais que dans les circonstances actuelles, ma vie aurait été plus facile ; le fardeau plus léger. Le fait de ne pas croire en Dieu a rendu d’autant plus rudes toutes les circonstances que j’affronte, et cette situation peut se détériorer davantage. Être un peu mystique peut donner un tour poétique aux événements. Mais je n’ai pas besoin d’opiacés pour en finir. Je suis un homme réaliste. Je tiens à maîtriser cette inclinaison intérieure avec l’aide de la Raison. Je n’y parviens pas toujours. Mais il est du devoir de l’homme d’essayer, de faire tout son possible. Le succès dépend du hasard et des circonstances.
Nous arrivons maintenant à la deuxième question: si ce n’est pas de la vanité, il doit y avoir une raison solide au rejet de la croyance séculaire en Dieu. Oui, j’en viens à cette question. Je suis convaincu que tout homme qui a un certain pouvoir de raisonnement essaie toujours de comprendre la vie et les gens autour de lui au prisme de cette faculté. Là où les preuves concrètes font défaut, se glisse toujours le mysticisme philosophique. Comme je l’ai indiqué, un de mes amis révolutionnaires répète souvent que « la philosophie est le résultat de la faiblesse humaine ». Nos ancêtres avaient le loisir de résoudre les mystères du monde, son passé, son présent et son avenir, ses tenants et ses aboutissants, mais après avoir échoué à fournir des preuves directes, chacun a essayé de résoudre le problème à sa manière. Par conséquent, nous trouvons de grandes différences dans les principes fondamentaux des différentes confessions religieuses. Parfois, ils prennent même des formes très antagonistes et contradictoires. Nous trouvons des différences entre les philosophies orientales et occidentales. Il existe des différences entre les diverses écoles de pensées dans chaque hémisphère. Dans les religions asiatiques, la religion musulmane est totalement incompatible avec la foi hindoue. En Inde elle-même, le bouddhisme et le jaïnisme sont parfois tout à fait distincts du 45 brahmanisme. Puis, dans le brahmanisme lui-même, nous trouvons deux sectes opposées : Arya Samaj et Snatan Dheram. Charwak est encore un autre penseur indépendant des siècles passés. Il a également contesté l’autorité de Dieu. Toutes ces religions diffèrent sur de nombreuses questions fondamentales, mais chacune prétend être la seule vraie religion. Ceci constitue la racine du mal. Au lieu de développer les idées et les expériences des anciens penseurs, et donc nous armer idéologiquement pour la lutte future, nous nous accrochons à la religion orthodoxe, léthargiques, inactifs, fanatiques que nous sommes, et contribuons ainsi à réduire l’expression de l’éveil humain à une mare stagnante.
Il est nécessaire pour chaque personne qui défend le progrès de critiquer chaque principe des vieilles croyances. Point par point, l’on doit contester l’efficacité de la vieille foi ; l’analyser et en comprendre tous les détails. Si après un raisonnement rigoureux, quelqu’un est amené à croire en l’une ou l’autre philosophie, sa foi sera appréciée. Son raisonnement peut
46 être erroné et même fallacieux. Mais il y aura des chances qu’il se corrige car la raison s’érige en principe directeur de sa vie. Mais la croyance, je devrais dire la croyance aveugle, reste désastreuse. Elle prive un homme de son pouvoir de compréhension et fait de lui un réactionnaire.
Toute personne qui prétend être un réaliste doit contester la vérité de ces vieilles croyances. Si la foi ne peut pas résister à l’assaut de la raison, elle s’effondre. Notre tâche devrait être de préparer le terrain pour la nouvelle philosophie. C’est le versant négatif. Ensuite vient le travail positif pour lequel certains matériaux de l’ancien temps peuvent être réemployés afin de construire les piliers d’une philosophie nouvelle. En ce qui me concerne, je reconnais que je manque de connaissances suffisantes dans ce domaine. J’ai eu un grand désir d’étudier la philosophie orientale, mais je trouverais plus tard l’occasion ou le temps suffisant pour y parvenir. Bien que je rejette les croyances des temps anciens, je ne cherche pas à opposer une croyance à une autre, plutôt à contester l’efficience des vieilles croyances à l’appui d’arguments solides. Nous croyons dans la nature et pensons que le progrès humain découle de la domination de l’homme sur la nature. Il n’y a aucune puissance consciente derrière la nature. Ceci est notre philosophie. étant athée, j’adresse ces quelques questions aux théistes :
1.           Si, comme vous le croyez, il existe un Dieu tout-puissant, omniprésent et omniscient qui a créé la terre et l’univers ? Dites-moi s’il vous plaît, tout d’abord, pourquoi Dieu a créé ce monde ? Ce monde constellé de malheur, de chagrin et d’innombrables misères, où personne ne vit dans la paix.
2.           Priez, ne dites pas que c’est Sa loi. S’Il contraint par la loi, Il n’est pas tout-puissant. Ne dites pas que c’est Son bon plaisir. Néron a brûlé Rome. Il n’a pourtant tué qu’un nombre très limité de personnes. Il ne commit que quelques tragédies, mais le tout 47 pour son plaisir morbide. Et quelle est sa place dans l’histoire ? Par quels noms nous nous souvenons de lui ? Toutes les épithètes désobligeantes lui sont attribuées. Les pages sont noircies de diatribes et d’invectives condamnant Néron : le tyran, le sans-cœur, le cruel.
Gengis Khan a tué des milliers de personnes en y cherchant du plaisir, et nous détestons son nom. Maintenant, comment donner raison à votre Tout-Puissant et éternel, qui, chaque jour, à chaque instant établit comme passe-temps de tuer des gens ? Comment pouvez-vous supporter ces massacres, qui surpassent ceux de Gengis Khan dans la cruauté et dans la misère infligée aux populations ? Je me demande pourquoi le Tout-Puissant a créé ce monde qui n’est rien d’autre qu’un enfer, un lieu d’intranquillité constante et amère. Pourquoi a-t-Il créé l’homme alors qu’Il avait aussi le pouvoir de ne pas le faire ? Avez-vous une réponse à ces questions ? Vous me direz qu’il semble nécessaire de réconforter la victime et de punir le malfaiteur dans l’au-delà. Bien,
48 bien, jusqu’où pourriez-vous suivre un homme qui d’abord vous inflige des blessures sur tout le corps, puis y applique une pommade douce et apaisante ? Comment les partisans et les organisateurs de combats de gladiateurs ont ils pu prospérer en jetant d’abord des hommes aux lions affamés, pour plus tard les prendre en charge et bien les soigner s’ils échappaient à cette mort horrible. Voilà pourquoi je pose la question : la création de l’homme était-elle vouée à dériver vers ce genre de plaisir ?
Ouvrez vos yeux et voyez les millions de personnes qui meurent de faim dans des bidonvilles et des huttes plus sales que les donjons sombres de prisons ; observez les ouvriers si patients, pour ne pas dire apathiques quand les riches vampires leur sucent le sang ; ayez à l’esprit le gaspillage de l’énergie humaine qui ferait frémir n’importe quel homme doté d’un tant soit peu de bon sens. Observez encore les nations riches, qui se permettent de jeter leur surplus de production dans la mer au lieu de les répartir entre les nécessiteux et les démunis. Combien existe t-il de palais dont on a construit les fondations avec des os humains ? Une fois tout cela établi, reste à déclarer : « Tout va bien dans le royaume de Dieu. » Mais pourquoi donc ? Ceci est ma question. Tu demeures silencieux. D’accord. Je passe alors à mon prochain point.
Vous, les hindous, diriez : « Quiconque souffre dans cette vie doit avoir été un pécheur dans sa vie précédente.  » Ce qui revient à dire que ceux qui sont maintenant les oppresseurs étaient dans leurs vies précédentes des gens pieux. Pour cette seule raison, ils détiennent le pouvoir. Permettez-moi d’exprimer clairement le fait que vos ancêtres étaient des gens rusés. Ils étaient toujours à la recherche de petites combines pour se jouer des autres et les arracher à la puissance de la Raison. Laissez-nous analyser la validité de cet argument !
Ceux qui pratiquent la philosophie de la jurispru- 49 dence, connaissent trois des quatre techniques punitives infligées à un malfaiteur que sont la vengeance, la réforme, et la dissuasion. La théorie de la rétribution est maintenant condamnée par tous les penseurs. La théorie de la dissuasion est pointée pour ses défauts. La théorie réformatrice est ainsi maintenant largement acceptée et considérée comme nécessaire pour le progrès humain. Elle vise à influer sur le coupable et à le convertir en un citoyen épris de paix. Mais que représente fondamentalement la punition de Dieu, y compris quand elle s’applique à une personne qui a vraiment fait du mal ? Pour les besoins
de notre raisonnement, acceptons qu’une personne ayant commis un crime dans sa vie précédente soit punie par Dieu qui la change en vache, en chat, ou en arbre. On peut énumérer pas moins de quatre-vingtquatre variations de la répression divine. Dites-moi si ces âneries, perpétrées au nom du châtiment, eurent l’effet escompté sur la nature humaine ? Avez-vous rencontré beaucoup de gens qui, pour avoir commis un péché, ont été des ânes dans leurs vies précé-
50 dentes ? Absolument personne ! La théorie dite des « puranas » (transmigrations et réincarnations) n’est rien qu’un conte de fées. Je refuse de m’égarer à attaquer cette théorie lamentable.
Comprenez-vous que le vrai péché dans ce monde est d’être pauvre ? Oui, la pauvreté est le plus grand des péchés ; c’est aussi une punition ! Maudit soit le théoricien, le juriste ou le législateur qui propose des mesures telles qu’il pousse en fait l’homme vers le bourbier de péchés plus odieux. Cela ne vous chagrine pas que votre Dieu omniscient ne puisse apprendre la vérité qu’après les souffrances et les difficultés inouïes de millions de personnes ? Quel est le sort, selon votre théorie, d’une personne qui, n’ayant commis aucune faute, est né dans une famille de basse caste ? Il est pauvre et ne peut donc aller à l’école. Son destin se réduit à se voir bannir et ostracisé par ceux nés dans une haute caste. Son ignorance, sa pauvreté, et le mépris qu’il reçoit des autres, aiguisent son ressentiment envers la société. En supposant qu’il commette un péché, qui doit en supporter les conséquences ? Dieu, lui, ou bien encore les gens instruits de cette société ? Quelle est votre opinion à propos de ces peines infligées aux personnes qui ont été délibérément tenues dans l’ignorance par des brahmanes égoïstes et orgueilleux ? Si par hasard ces pauvres créatures entendent quelques mots de vos livres sacrés, les Vedas, ces brahmanes s’empressent de leur verser du plomb fondu dans les oreilles. S’ils commettent une faute, qui devrait en être tenu responsable ? Qui doit en supporter le poids ? Mes chers amis, ces théories ont été inventées par les classes privilégiées. Elles essaient de justifier le pouvoir qu’elles ont usurpé et les richesses qu’elles ont dérobées à l’aide de ces théories. C’est l’écrivain Upton Sinclair qui note (dans Bénéfices de la religion) « que l’on peut rendre un homme convaincu de l’immortalité de l’âme, et lui voler tout ce qu’il possède ; il vous y aidera volontiers. » L’alliance mor- 51 bide entre les prédicateurs religieux et les détenteurs du pouvoir a favorisé la domination par le biais des prisons, des potences, du knout et surtout de telles théories de l’humanité.
Je me demande pourquoi votre Dieu tout-puissant ne retient pas un homme quand il est sur le point de commettre un péché ou un délit. C’est un jeu d’enfant pour Dieu. Pourquoi n’a-t-Il pas tué les seigneurs de la guerre ? Pourquoi n’a-t-Il pas éradiqué la fureur de la guerre de leurs esprits ? Ainsi Il aurait pu épargner à l’humanité bien des horreurs et des calamités. Pourquoi n’introduit-Il pas de sentiments humanistes dans l’esprit des Britanniques afin qu’ils puissent volontairement quitter l’Inde ? Pourquoi ne convertit-Il pas les classes capitalistes à un humanisme altruiste qui les inciterait à abandonner leur emprise sur les moyens de production, libérant ainsi toute l’humanité laborieuse du carcan de l’argent. Vous souhaitez débattre de l’efficience de la théorie socialiste, mais je laisse votre Dieu tout-puissant vous en convaincre. Les gens ordinaires comprennent
52 souvent le bien-fondé de la théorie socialiste dans la mesure où elle se préoccupe d’abord du bien-être général, mais s’y opposent, sous prétexte qu’elle ne peut être mise en œuvre. Que le Tout-Puissant intervienne alors et ordonne le monde de façon appropriée. Plus de logique ! Je vous dis que la domination britannique ne nous est pas imposée parce que Dieu l’a voulu, mais car nous manquons de volonté et de courage pour nous y opposer. Ils ne nous tiennent pas sous leur joug avec le consentement de Dieu, mais par la force des canons et des fusils, des bombes et des balles, de la police et de la milice, et surtout, à cause de notre apathie, ils commettent le péché le plus déplorable, à savoir l’exploitation d’une nation par une autre. Où est Dieu ? Que fait-Il ? éprouvet-Il un plaisir malsain à tout cela ? Tel Néron ! Tel Gengis Khan ! Finissons-en avec Lui !
Maintenant, laissez-moi aborder un autre temps de la construction de la logique !  Vous me demandez comment j’explique l’origine de ce monde et l’origine de l’homme. Charles Darwin a essayé d’apporter quelques lumières à ce sujet. étudiez son livre. Prêtez également attention à l’ouvrage de Sohan Swami Sens commun. Vous obtiendrez une réponse satisfaisante. La biologie et l’histoire naturelle constituent le cœur de ce livre. La création du monde découle d’un processus naturel. Le mélange accidentel de substances différentes sous forme de nébuleuses a donné naissance à cette terre. Quand ? On étudie encore pour le déterminer. Le même processus a provoqué l’évolution des animaux, et à plus long terme, celle de l’homme. Lisez l’Origine des espèces de Darwin. Tous les progrès récents résultent d’un conflit constant de l’homme avec la nature, et de ses efforts pour utiliser la nature à son propre bénéfice. Voilà une brève esquisse du phénomène.
Votre prochaine question voudra sûrement éclairer les raisons qui rendent par exemple un enfant aveugle ou boiteux, même s’il n’était pas un pécheur 53
dans sa vie précédente. Les scientifiques l’expliquent comme un simple phénomène biologique. Selon eux, les actes conscients ou inconscients des parents causent réellement le handicap de l’enfant avant sa naissance.
Vous allez encore m’adresser une question, bien qu’elle soit toujours puérile. Si Dieu n’existe pas vrai ment, pourquoi les gens en viennent-ils à croire en Lui ? Je veux répondre de manière brève et concise. La croyance en Dieu se développe comme on en vient à croire aux fantômes et aux mauvais esprits : la seule différence étant que Dieu se révèle presque comme un phénomène universel et que la philosophie théologique étend partout son emprise. Cependant, je désapprouve ici la philosophie radicale. Elle attribue cette existence divine à l’ingéniosité des exploiteurs, qui voulant garder les gens sous leur domination, échafaudèrent l’existence d’un Être suprême qui leur donnait autorité pour conserver ainsi leur position privilégiée. Je m’accorde par contre sur le point essentiel que toutes les religions,
54 croyances, philosophies théologiques, s’accommodent fort aisément de la tyrannie et de l’exploitation des institutions, des hommes et des classes. La rébellion contre le roi constitua toujours un crime dans toutes les religions.
En ce qui concerne l’origine de Dieu, je pense que l’homme a créé Dieu selon son imagination quand il a réalisé ses faiblesses, ses limites et ses lacunes. Ce qui permet de trouver le courage pour affronter toutes les circonstances difficiles et pour répondre à tous les dangers qui pourraient survenir dans la vie, mais aussi à contenir les élans qui nous poussent vers la prospérité et la richesse. Dieu, avec ses lois fantaisistes et sa bonté paternaliste, a été peint avec les couleurs variées de l’imagination. Il a été utilisé comme un facteur dissuasif, lorsque sa fureur et ses lois ont été maintes fois démultipliées afin d’empêcher l’homme de devenir un danger pour la société. Il a incarné le cri de l’âme en détresse, car il a semblé se présenter comme père et mère, frère et sœur, frère et ami, quand un homme était laissé seul et sans défense en des temps sombres. Décrit comme tout-puissant, il ne pouvait cependant rien faire. L’idée de Dieu ne s’avère utile qu’à un homme en détresse. La société doit lutter contre cette croyance en Dieu comme elle a lutté contre le culte des idoles et d’autres conceptions étroites de la religion. Ainsi l’homme tentera de se tenir sur ses pieds. Devenu réaliste, il devra jeter sa foi de côté et faire face à tous les adversaires avec courage et vaillance. Voilà exactement mon état d’esprit. Mes amis, ce n’est pas la vanité mais mon mode de pensée qui a fait de moi un athée. Je ne pense pas améliorer mon sort ou le détériorer davantage, en renforçant ma croyance en Dieu et en lui offrant des prières tous les jours (ce que je considère comme l’acte humain le plus vil). J’ai tant appris des lectures d’auteurs athées qui luttaient courageusement, que je cherche à rester digne en toutes circonstances, même sur la potence.
Vérifions ma résolution. Un de mes amis m’a demandé de prier avec lui. Informé de mon athéisme, il me dit : « Quand tes derniers jours viendront, tu commenceras à croire. » Je lui répondis : « Non, cher camarade, cela ne se produira jamais. Car cela constitue l’acte ultime de dégradation et de démoralisation. Je ne pourrais jamais prier pour ces motifs égoïstes et mesquins. » Lecteur et amis, est-ce de la vanité ? Si c’est le cas, je l’assume et la défends.

Bhagat Singh, 1930.

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